Anecdote de René Triscos embarqué
sur le Glorieux
"UNIS COMME A BORD ?"
- Cette interrogation est-elle toujours vraie
? A-t-elle été respectée en tous les temps
et en tous lieux ? Formules interrogatives et pourquoi ce doute
?
- Tous les sous-mariniers savent que c'est leur devise et qu'elle
fait partie de leurs convictions et leur manière de se
comporter, respectant cela car la vie de l'un se rattache
à la vie de l'autre. La moindre violation des consignes
par l'un d'entre eux met en danger la survie de tous les autres
membres d'équipage. La devise de la Marine Nationale est
résumée par : "Honneur et Gloire, Valeur et
Discipline" comme celle de tous citoyens français est :
"Liberté, Egalité, Fraternité". Certains
d'entre eux se demandent si elle est encore d'actualité,
fiable et valable ! Alors que doit-on en penser ?
- Me remémorant toute cette belle philosophie personnelle
j'ai osé faire un retour en arrière de plus de
cinquante ans, et cela m'arrive souvent. Qu'en ai je
retiré de bon ? Rien de bien raisonnable car il m'est
revenu en mémoire des faits qui, à l'époque,
m'avaient profondément choqué par leur
immoralité d'abord et pour leur violence ensuite.
L'exemple le plus "frappant" remonte à la fin 1945 - je
cible mal la date exacte - alors que je me trouvais à ORAN
à la base "sous-marine" de Lamoune. J'étais
embarqué sur un 1500 tonnes le "GLORIEUX" et sous les
ordres de "Papa" ROY.
- Pour apporter encore plus de précisions dans ce
récit il va falloir remonter au mois de Novembre 1942 :
Sabordage de la Flotte française à TOULON par suite
de l'entrée des troupes d'occupation allemandes dans cet
arsenal du port militaire dans l'espoir de "confisquer" nos
bâtiments au profit de la Marine hitlérienne. Le
coup de force échoua... sauf pour cinq sous-marins
français : "CASABIANCA", le "GLORIEUX", "MARSOUIN", "IRIS"
et "VENUS" qui eurent le culot d'échapper aux assaillants.
Pas facile à faire, beaucoup de risques, gros travail de
préparations avec entraînement (même dans le
noir) de tous ces équipages ayant confiance en leur
hiérarchie. Comme quoi résister aux ordres
donnés, dans certaine circonstance, peut-être une
forme de courage intelligent. D'ailleurs le lieutenant de
vaisseau de l'époque le commandant L'HERMINIER (du
"CASABIANCA") a su retracer ces moments là dans un livre
citant cette échappée vers ALGER, le 27 Novembre
1942, pour reprendre le combat auprès des Alliés.
La préparation minutieuse de cette épopée a
débuté dès le 11 de ce mois en se motivant
fortement pour ne pas céder à la panique et la
confusion de cet appareillage délicat.
- Étude en commun des problèmes mais dans la
discrétion la plus absolue. A cette date les
bâtiments sont amarrés en direction de la sortie -
Sauf le GLORIEUX" qui devra partir en marche arrière de
son poste d'accostage achevant la charge non autonome des
batteries d'accumulateurs par les diesels mais faite par les
câbles de la station de l'arsenal. Le but ?
économiser du mazout alloué et de le stocker, si
possible, dans les ballasts. Les amarres seront fixées sur
le croc de remorque libérables de
l'intérieur.
© René Triscos
- Le compas gyroscopique est lancé
dès la nuit assurant, au départ, un cap
précis. Un factionnaire armé sera aux aguets, en
permanence, dans la "baignoire" (kiosque) prêt à
donner l'alerte au klaxon non pas pour plonger mais pour
appareiller rapidement. Entraînement aux automatismes pour
les manœuvres nécessaires pour tenter de forcer le
passage (Inch Allah!) vers le large en évitant, si
possible, le filet anti-sous-marins mouillé dans les
passes avec des radeaux contre les vedettes rapides ennemies. Il
faudra savoir éviter tous ces pièges, etc, etc...
Tout cela fait beaucoup d'obstacles... sans compter l'aviation
qui va lâcher ballonnets éclairants et bombes. La
ruse des petits français va les contrer car cinq
réussissent à se dégager car l'ayant
préparé, auparavant, dans leur tête
courageuse. Ils prennent le large et voguent vers l'aventure. Le
"CASABIANCA" et le "MARSOUIN" (Commandant MINE) rejoignent ALGER.
La "VENUS" préfère se saborder au large. Le
"GLORIEUX" et l"IRIS" mettent le cap sur l'ESPAGNE pour tenter de
rejoindre ORAN.
- Tous espèrent reprendre le combat mais, cette fois-ci,
auprès des Alliés. Par la suite les deux premiers
vont remplir des missions assez exceptionnelles sous les ordres
des Anglo-Américains... et de GIRAUD "by-passant" DE
GAULLE car la guerre des Chefs n'était pas morte. Ils
contribuèrent à libérer le premier
département français : la CORSE ! Ils
aidèrent à débarquer des agents secrets puis
des tonnes d'armes pour les résistants et enfin des
troupes françaises. À ALGER, le 20 Décembre
1942, le Général GIRAUD décorera même
les trois commandants ainsi que les pavillons des trois
"évadés", cités plus haut, en
présence de l'Amiral DARLAN peu de temps avant son
assassinat.
- Et les deux autres bâtiments ? allez-vous dire. La
"VENUS" commandée par le L.V. CRESCENT exécutera
les ordres de l'Amiral MARQUIS et il coulera son bateau au large.
L"IRIS" passant à proximité du youyou invitera
l'équipage à monter à bord. Le Lieutenant de
Vaisseau refusera car, ancien du "SURCOUF" il a une rancœur
contre l'Angleterre. À PLYMOUTH, Juillet 1940, les
officiers des deux nationalités s'étaient
affrontés au revolver (4 morts dont 3 Anglais). CRESCENT
était au cœur de la bataille. Deux ans plus tard il
n'avait pas oublié : pas question d'aller servir la
Grande-Bretagne!... C'est un exemple contradictoire du "UNIS
comme etc..."
- La suite concernera le "GLORIEUX" qui va "escaler" à
VALENCE (Espagne) dans le but d'avertir ORAN de son
arrivée et surtout pour tenter de connaître le code
d'entrée au port pour éviter une méprise en
faisant surface devant les côtes algériennes
maintenant surveillées par les Alliés. Le
Commandant MEYNIER fut bien mal accueilli par Monsieur MARTIN,
consul français, qui tout en le félicitant se
lamentait car : "Je n'ai pas de chance, en ce Dimanche, d'avoir
une pareille "tuile"! " avouant que les autorités
espagnoles le surveillent et il refuse de passer un message vers
l'ALGERIE !! Il faudra que ce soit un brave Français
(Monsieur SPINDLER) qui s'offre d'aller, en auto, à
MADRID, porter le message à l'ambassade U.S.
défiant les responsables espagnols et allemands
associés en ce temps là. Une heure plus tard le
futur capitaine de corvette MEYNIER appareille avec son navire et
son équipage narguant tous les officiels
menaçants.
- Quant à l"IRIS", a court de carburant, il va être
interné à BARCELONE puis, sous le contrôle
des Espagnols il va se trouver coincé à CARTHAGENE
où les autorités maritimes lui enlevèrent
les hélices pour l'empêcher de s'évader une
deuxième fois. Je l'ai vu revenir à ORAN
escorté par le remorqueur HIPPOPOTAME ou RHINOCEROS. Il
est rentré aves ses propres moteurs, toujours en
état, au quai de LAMOUNE. Et là, "UNIS comme
à bord" n'avait plus de sens car il y a eu de
sérieux règlements de comptes entre membres
d'équipage car il avait eu des différences de
traitement pendant le séjour ibérique. Le
Commandant DEGE n'avait pas su (ou voulu ?) maintenir la
cohésion. Certains s'étaient même
mariés avec des filles du cru et de ce fait sortaient
à terre librement. On parla même d'une tentative de
faire sortir le navire des eaux territoriales avec au "Q de
poule" les torpilles entreposées à bord comme moyen
de propulsion. Cela paraissait utopique mais des "mouchards"
avaient vendu la "mèche" aux autorités franquistes
! Tentative d'évasion avortée et
sanctionnée...
- Aussi à l'arrivée à ORAN chacun ayant
empoché les rappels de tabac, de décompte de sac,
de prime et de solde il y avait de l'argent "liquide" pour boire
celui-ci jusqu'à plus soif. L'échauffement des
esprits au comptoir de la cantine d'accueil a eu pour
résultat de bosseler les faciès... et le reste.
Explications, mises au point (et au poing) eurent lieu. Fin de
l'union, du bord, de la fuite héroïque de TOULON
à la barbe des "Frizoux", de l'internement des uns au
détriment des autres, etc. Je m'en rappelle, car jeune
dans ce métier, cela m'avait, moi aussi, "frappé"
l'esprit à tel point qu'aujourd'hui je m'en souviens
encore.
- Pour un du "GLORIEUX" la morale de cette histoire n'est pas
glorieuse, UNIS ?...Il est vrai que nous n'étions plus
à bord....
© René Triscos