Sfax


Le Sfax avant guerre (© Taylor collection)
Le "Sfax" avant guerre (© Taylor collection)


- Commandé dans le cadre du budget 1930, le sous-marin "Sfax" appartient à la troisième et dernière série de sous-marins océaniques de la classe "Redoutable", forte de 31 unités. Il est construit aux Ateliers et Chantiers de la Loire à St-Nazaire en Juillet 1931, lancé en Décembre 1934 et finalement achevé pour le service en Septembre 1936. Les détails de sa carrière sont rares avant le début de 1939, date à laquelle il fait partie de la 2e division de la 1ère Escadre basée à Brest. Rééquipé entre Février et Avril de la même année, le "Sfax" sert en tant que patrouilleur dans l'Atlantique et en Méditerranée, la guerre ayant trouvé sa division à Toulon. Les premières semaines du conflit se déroulent au large du port espagnol de Vigo dans l'attente vaine de forceurs de blocus allemands. Par la suite, le "Sfax" et ses trois compagnons de la 2e division sont affectés à une mission de convoyage dans l'Atlantique, naviguant de Brest à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 14 Novembre. Cette mission, qui se poursuit tout au long de l'hiver 1939, constitue non seulement une mauvaise utilisation du potentiel de combat des sous-marins, mais aussi une mission pour laquelle ils ne sont pas équipés. Le 15 Avril, le début de la campagne de Norvège conduit le "Sfax" de Brest à Narvik, qu'il atteint le 17. Après une patrouille de deux semaines, le "Sfax" fait route vers Dundee d'où il opère avec d'autres bateaux français au large de la Norvège jusqu'à son retour à Brest le 04 Juin. Avec la chute de la France imminente, le 19, le "Sfax" reçoit l'ordre de rejoindre Casablanca, passant le reste de sa carrière en patrouille dans l'Atlantique.

- Le 17 Décembre 1940 à midi, le pétrolier de la marine de Vichy "Rhône" appareille de Casablanca à destination de Dakar, capitale du Sénégal, chargé de munitions et de 3 500 tonnes de pétrole. À 16h00, il est escorté par le "Sfax", qui se rend également à Dakar pour relever le sous-marin "Béveziers" à cette station. Le voyage se déroule sans incident jusqu'à ce que les deux navires atteignent une position entre Cap Juby et Fuerteventura à 16h40 le 19 Décembre, le "Sfax" étant positionné à 400 mètres sur la hanche tribord du "Rhône" et les deux navires avançant à environ huit nœuds. Ils sont alors dans la ligne de mire du Kptlt Nicolaï Clausen à bord de l'U-37, qui, ne les ayant apparemment pas identifiés comme des navires français de Vichy, les détruit tous les deux en l'espace d'une heure. Pour des raisons évidentes, le journal de bord de Clausen pour la journée en question est expurgé de toute référence à cet événement, se consacrant largement à un problème de cryptage de la machine Enigma du bateau.

- Aucun récit de survivant n'a été trouvé qui pourrait éclairer le naufrage du "Sfax" du point de vue de l'équipage, mais sa fin a été rapide, comme on pouvait s'y attendre. Des témoins oculaires sur le pont du "Rhône" ont rapporté qu'à 16h40 'une énorme colonne de fumée puis de gazole a jailli de la partie arrière du "Sfax", accompagnée de deux violentes explosions. En 30 secondes, le sous-marin avait disparu, coulant par la poupe selon un angle de 40°'. En l'absence de toute preuve du contraire, le commandant du "Rhône", le Capitaine de Corvette P. P. Clavery, eut l'impression que le "Sfax" avait été victime de l'explosion accidentelle d'une torpille dans ses tubes d'étambot (arrière) qui avait fait exploser les réservoirs de carburant arrière, mais il est peu probable que cette conclusion ait survécu à la disparition du "Rhône" quarante minutes plus tard.
- Comme le montre l'extrait du journal, le journal de guerre de Clausen a été purgé de toute référence à une quelconque attaque le jour en question, ne laissant guère plus que les détails d'un banal malentendu de signal. Cependant, il ne fait aucun doute que l'U-37 était responsable du naufrage du "Sfax" et du "Rhône", puisque Clausen a transmis le message suivant deux jours plus tard, le 21 Décembre, peut-être à la suite d'une demande du B.d.U. Ce message ne figure évidemment pas dans son journal de bord, mais il a été extrait par la suite du journal de guerre du haut commandement de la marine : 'Une torpille a été tirée sur un pétrolier du type Kopbard (7329 [GRT]), échec du gyroscope, et a probablement touché un sous-marin Amphitrite dans le convoi du pétrolier. Le pétrolier a brûlé. Le "St Carlos" [sic] (300 [tonnes]) sans signes distinctifs [coulé] par des tirs concentrés. Il reste neuf torpilles'. Clausen affirme donc avoir touché le "Sfax" par erreur après qu'une torpille visant le "Rhône" ait mal tourné, sans expliquer comment ce dernier a 'brûlé', alors qu'il est manifestement resté sur les lieux assez longtemps pour en observer une grande partie. Par 'Kopbard', Clausen faisait manifestement référence au pétrolier marchand français "Kobad" qui ressemblait plus que de loin au "Rhône", mais l'aspect le plus intéressant de cette version des événements n'est pas de savoir comment - et quand - il a procédé à l'identification du sous-marin en particulier.
- Il faut supposer que Clausen n'a appris l'identité de ses victimes qu'après coup, car il est difficile de croire qu'un commandant de sous-marin allemand aurait sciemment ciblé un navire français de Vichy, et encore moins deux, même si le fait que Clausen ait coulé un bateau de pêche espagnol neutre (le "San Carlos") suggère qu'il était dans un état d'esprit belliqueux. Quoi qu'il en soit, à peine l'identité des victimes du Clausen est-elle connue du haut commandement allemand qu'un communiqué indique la ligne à suivre par la diplomatie de l'Axe : ' Nous continuerons à affirmer au monde extérieur qu'il n'est pas question qu'un sous-marin allemand ou italien se trouvant dans la zone maritime en question soit responsable des naufrages'. Toutes ces informations ont été longuement étudiées par les procureurs alliés enquêtant sur les crimes de guerre allemands lors des procès de Nuremberg. Pour l'historien de la marine, le journal de bord de Clausen prouve non seulement que les "Kriegstagebücher" pouvaient être et étaient parfois falsifiés lorsque le besoin s'en faisait sentir, mais aussi que cette falsification pouvait être réalisée avec une incompétence totale, puisque le journal de bord indique une distance de 350 nautiques entre les positions de l'U-37 à 00h00 et 04h00 le 19. Encore plus ineptes sont les carreaux réels vers lesquels l'U-37 est censé avoir décampé pendant cette période, coordonnées qui le placent au plus profond du Sahara algérien où les seuls navires vont sur quatre pattes.

- Croyant que le "Sfax" avait succombé à une explosion interne et n'ayant aucune raison de penser que ses navires étaient attaqués par des sous-marins, le Capitaine de Corvette Clavery du Rhône s'approche sur les lieux et ordonne l'arrêt des moteurs. Dans la demi-heure qui suit le naufrage, deux baleinières du "Rhône" recueillent cinq hommes dont le commandant du "Sfax", le Lieutenant de Vaisseau Groix, qui est retrouvé 'inerte et gravement blessé' et ne reprendra jamais connaissance. Les survivants de cette catastrophe sont le quart à la passerelle, composé du Q/maître canonnier Roger Vinchon, du Q/maître électricien Alexandre Gouezou, du Matelot radio Robert Rittel et du Q/maître manœuvrier Marcel Kernogoret. Cependant, le calvaire des quatre survivants du "Sfax" est loin d'être terminé. À 17h20, quarante minutes après la destruction du "Sfax" et avant même qu'ils ne soient montés à bord du pétrolier, le "Rhône" est secoué par une violente explosion 'une torpille a explosé à l'avant du pont dans la cale n°4, pleine de gasoil qui s'est embrasé dans la coque'. Des efforts ont été faits pour éteindre l'incendie mais lorsque le feu a commencé à s'approcher de la soute à munitions avant avec ses 160 obus de 100mm, Clavery a donné l'ordre d'abandonner le navire, l'équipage s'entassant dans les deux baleinières et un bateau à rames de type inconnu. Il n'était pas possible de libérer le bateau à moteur du navire, mais peu après 18h00, Clavery, conscient que les bateaux de sauvetage étaient dangereusement surchargés, changea d'avis sur le danger d'une explosion de la soute à munitions et rassembla un groupe de neuf volontaires pour remonter à bord du navire. Une heure de travail fut récompensée par la mise à l'eau du bateau à moteur, mais la nuit était tombée et les autres navires n'étaient plus visibles. La coque du "Rhône" ne coule pas avant 15h00 le 20.
- Le sauvetage de Clavery et de l'équipe de volontaires est rapidement arrivé sous la forme d'un chalutier espagnol qui les a fait monter à bord à 20h00 ce soir-là et a pris le bateau à moteur en remorque. À 23h00, ils ont été transférés sur le cargo français "Fort Royal", d'où un message a été transmis au commandement naval de Vichy à Casablanca. Ce message n'a pas atteint la destination prévue mais a été reçu par un autre cargo français, le "François L-D", qui a changé de cap vers le lieu du naufrage et a pris Clavery et son groupe à bord avant de dépêcher une baleinière à moteur pour un balayage vain vers le Sud-Est à la recherche d'autres survivants. Tournant lui-même vers le Sud-Ouest, à 07h45 le 20, le "François L-D" a aperçu l'une des deux baleinières à dix nautiques de l'épave du "Rhône", sauvant six hommes. Les recherches se poursuivent, mais à 18h30, le navire fait demi-tour vers Agadir et les balayages aériens et de surface ne permettent pas de retrouver d'autres survivants. Pendant ce temps, le bateau à rames a touché terre près de Hassi Chbiki dans le Sahara espagnol (maintenant le Maroc) à 17h00 ce même soir, les survivants commençant une marche vers le Nord en direction d'Ifni. La seconde baleinière s'est échouée près de Chbika, non loin au Nord de Hassi Chbiki, à midi le 21, après trente-six heures en pleine mer. Les deux groupes de survivants, au nombre de quarante-trois, sont ainsi réunis avant d'être pris en charge par un camion de l'armée espagnole et conduits à Xenel Marsa. Le destroyer français "Brestois" a pu envoyer son médecin à terre pour soigner les blessés, mais de fortes vagues ont empêché l'embarquement des survivants, qui ont d'abord été conduits à l'avant-poste militaire de Tan-Tan, puis envoyés par avion à Cap Juby ou par camion à Guelmim, au Maroc français. On ne sait pas comment les quatre survivants du "Sfax" ont été répartis entre chacun des trois canots. Le bilan des morts du "Sfax" est de soixante-cinq hommes, celui du "Rhône" s'élève à onze.
- Le Lieutenant de Vaisseau Groix a été promu à titre posthume Capitaine de Corvette 'à titre exceptionnel et pour faits de guerre' après avoir été félicité pour ses efforts pendant la campagne de Norvège d'Avril-Mai 1940. Une rue de Brest, sa ville natale, porte son nom en son honneur.



Libre traduction par l'auteur du site des pages 78, 79, 80 et 81 de l'ouvrage "U-Boat Attack Logs" de Daniel Morgan & Bruce Taylor chez Seaforth Publishing.
Sources : le Net


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