Le naufrage de la Sibylle II
par Michel Pontrucher



- En vue de son prêt à la Marine nationale, le sous-marin H.M.S. Sportsman est sorti de mise en réserve en 1951. Il sera la dernière des quatre unités du type S prêtées dan le cadre de l'OTAN à rallier à la France. Après une formation très complète pour le noyau d'armement, celui-ci devenant à son tour instructeur lorsque le complément d'équipage ralliera, le changement de pavillon a lieu le 13 juillet 1952 dans la base des sous-marins à Gosport. Bien entendu, le changement de pavillon a déclenché un nouveau baptême, et désormais, il est devenu le sous-marin Sibylle.

- Le bâtiment ayant été recetté au préalable, dès la fin juillet 1952, il peut appareiller pour rallier Toulon, son port d'affectation. La première escale est Brest, puis ensuite cela sera Lorient et Casablanca. Durant le transit Casablanca-Alger, lors d'une plongée de routine, il y eut un incident sous la forme de prise d'une forte pointe négative. Le bâtiment fut contrôlé en vue de sa remontée et il semblerait que cela était imputable à une méconnaissance du personnel. Ensuite, ce sera Alger et enfin Toulon, où il se présente à la base de sous-marins dans sa livrée bleu foncé d'origine, caractéristique des sous-marins britanniques opérant en Manche et en Mer du Nord. Assez rapidement, il sera uniformisé avec les autres bateaux avoisinants en recevant une couche de peinture « bleu Méditerranée » mais qui, en fait, est noire puisque s'appelant également « négroline ». Il prend alors rang dans les activités de la base et est dirigé assez rapidement vers des exercices.

- En fait, ce qui peut être raisonnablement écrit sur la disparition est obligatoirement bref en égard à la discrétion totale de la perte.

- Comme dit, le sous-marin Sibylle était incorporé dans le cadre global d'un exercice d'escadre placé sous les ordres de l'amiral Pothuau et ayant pour thème « Attaque par une force ennemie venant du large de rivages de Provence ». En ce mercredi 24 septembre 1952, plus précisément il exécute avec le DE Touareg un exercice d'attaque par escorteur d'un sous-marin naviguant à une immersion de - 30 m avec un changement de route de 30° toutes les 10 minutes. Au cours de la deuxième attaque, à 08h02, le contact asdic est perdu à 270 m de distance, soit un peu avant que l'escorteur n'arrive à sa verticale. Ce sera là la dernière manifestation de sa présence active. Aussitôt les premières recherches s'organisent et les grands bâtiments sur place, très peu équipés pour la détection ASM, doivent laisser les escorteurs opérer par ratissage de zone. Dès 12 heures, les premiers éléments aéronavals en provenance du PA Lafayette viennent apporter leur aide.

- Vers treize heures, il y a découverte de la bouée téléphonique, élément dont de ce type de sous-marin était pourvu. Il s'agissait d'une sphère en matériau à très forte flottabilité, d'un diamètre de 0,70-0,90 m, peinte en couleur jaune très vif et marquée du nom du bâtiment et de diverses inscriptions en langue anglaise. À l'intérieur de cette sphère était ménagée une petite enceinte étanche contenant un téléphone auto-générateur. À sa base, un câble téléphonique d'une longueur de 200 m était censé assurer la liaison avec le bâtiment. En partie haute, la sphère était surmontée par un axe formant hampe pour un petit pavillon de couleur rouge foncé en tissu imperméabilisé. En position de repos, cette bouée avait un logement dans la superstructure du pont et pouvait être larguée de l'intérieur du sous-marin. Malheureusement, dans le cas présent, la bouée fut récupérée avec le câble téléphonique rompu. Y a-t-il eut arrachement par la forte flottabilité ou la profondeur atteinte lors du largage était-elle déjà supérieure à 200 m ? Nul ne sait, toujours est-il que ce maigre vestige n'apportera aucun indice exploitable, hormis celui de faire comprendre que l'irrémédiable avait du survenir.


Bouée téléphonique de la Sibylle
Bouée téléphonique de la Sibylle (DR)

- Vers quinze heures, un petit avion venant du côté large et devant se poser sur un aérodrome du littoral signale avoir survolé une zone irisée et en donne le relèvement. Force est de constater que de tels indices, et ce seront les seuls, confirment ce qui avait été pressenti et ce d'autant plus qu'en cette zone au large du cap Camarat, le plateau continental est très vite quitté et que les fonds y atteignent rapidement des profondeurs de - 700 m, immersion totalement démesurée pour ce type de sous-marin. Il faut noter que cette tragédie a lieu 41 ans, jour pour jour, après l'explosion à Toulon du cuirassé Liberté qui fit 600 morts, la cause étant l'instabilité des poudres colloïdales (base des munitions). Dans le cas présent, 48 hommes venaient d'être englouti avec leur navire.

- Le 26 septembre, le secrétaire d'État à la Marine, Monsieur Gavini, entouré de tout l'état-major général se rend sur le croiseur Gloire, alors bâtiment-amiral, pour rendre hommage en mer aux victimes. Deux colonnes distantes de 900 m se forment pour gagner le lieu présumé de la disparition. Dans l'une, on trouve les croiseurs Gloire, Montcalm, Georges Leygues, le destroyer-escorteur Marceau, dans l'autre, le ravitailleur pour sous-marins Gustave Zédé, les escorteurs Arabe, Kabyle, Touareg, Soudanais, Sénégalais, Berbère, Malgache. À 13h30, les navires atteignent le lieu présumé du naufrage lequel se situe à 6,5 miles à l'ouest du cap Camarat. C'est par une mer quelque peu agitée que les équipages, en tenue de sortie et aligné au po: te de bande, rendent hommage à leurs camarades disparu en respectant une minute de silence après que les clairons eurent exécutés la sonnerie « Aux mort ». Le 27 septembre, ce sera alors à terre, avec les mêmes personnalités, l'hommage des familles, de la Marine, et de la ville de Toulon.

- II est bien compréhensible qu'un tel accident éprouve très fortement les personnes proches par la parenté ou même par le lien existant entre les équipages. On se contentera ici d'examiner ses répercussions sur un plan global.

- L'arme sous-marine d'après-guerre, déjà éprouvée par la disparition de I'U-2326 le 5 décembre 1946, est à nouveau endeuillée en ce 24 septembre 1952 par la perte de 48 de se membre. Il est aisé de comprendre que cela est très lourd dans ce milieu assez clos, où tous les hommes se connaissent de bord à bord même s'ils n'ont jamais navigué ensemble. En fait, la vie identique, et les problèmes communs les soudent, y compris dans le malheur. En excluant totalement le côté humain des deux tragédies, la disparition du sous-marin Sibylle a été moins lourde de conséquence sur le plan technique que celle du sous-marin U-2326 ; en effet, sur ce dernier il y avait en jeu un savoir à découvrir, puis à exploiter pour les constructions navales et par voie de conséquence pour la Marine et la défense éventuelle du pays. Par contre, dans le cas de ce sous-marin prêté comme bâtiment de combat, mai n'en ayant plus les pleines capacités en égard de l'âge de sa conception et même de sa réalisation, l'incidence fut bien moindre.

- Concrètement, pour marquer sa confiance dans le matériel employé, le secrétaire d'État à la Marine effectua le 9 février 1953 une plongée à bord du sous-marin Saphir. Les mesures de sécurité furent renforcées à bord des trois unités restantes, et, en particulier, les tubes lance-torpilles du sous-marin Sirène, un type S identique à la Sibylle par différence aux deux autres type S dit « rapides », furent condamnés. Il a en effet été vu dans le texte de cet ouvrage que les sous-marins type S « rapides » Sultane et Saphir avaient été livrés démilitarisé. Sur ce sujet, il faut savoir que la manœuvre des tubes lance-torpilles sur le sous-marin de type S était différente de celle sur les sous-marins français et allemands constituant le reste de la flotte de transition, en particulier les sécurités entre portes avant et arrière des tubes qui étaient notablement simplifiées.

- Les moyen d'investigation sous l'eau s'étant spectaculairement développés en 15 ans, et continuant depuis, ce n'est qu'en 1967 que l'épave de la Sibylle a été repérée avec précision. Elle se trouvait sur le lieu qui était déjà le lieu présumé déterminé en 1952, soit sur des fonds d'environ - 700 m.

- Un monument commémoratif a été élevé à la pointe du cap Camarat face à la mer.


Glossaire
Source : 1944-1954 SOUS-MARINS FRANÇAIS La décennie du renouveau.

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