Doris I
La "Doris" en route au large de Toulon en Juillet 1937.
Le Tricolore peint sur le massif indique sa participation
à la Patrouille de Nyon au large de l'Espagne pendant la
guerre civile. (© BfZ)
- La Marine nationale
française
- Bien que la France depuis longtemps est une grande puissance
navale et qu'elle joue pleinement son rôle dans la
révolution technologique du XIXe siècle, la
primauté de l'armée dans la planification militaire
française et les restrictions financières avant et
après la Grande Guerre se sont conjuguées pour
entraver le développement de la Marine nationale en une
force véritablement moderne. Ce n'est qu'à la fin
des années 1930 que la marine française commence
à apparaître comme un contrepoids viable aux
aspirations italiennes en Méditerranée, bien qu'une
grande partie de ses nouvelles constructions ne sont pas
achevées au moment de l'armistice en Juin 1940 et que son
potentiel est destiné à ne jamais être
réalisé. Cependant, les navires qui sont
opérationnels participent pleinement aux premières
campagnes de la guerre, d'abord dans les convois et les
patrouilles, puis au large de la Norvège et de Dunkerque.
Parmi eux, la "Doris", qui, en étant perdu, n'en a pas
moins épargné la longue agonie de la marine
française qui s'étend de la tragédie du
Mers-el-Kébir en Juillet 1940 au sabordage de la flotte de
Vichy à Toulon en Novembre 1942.
- Dernier des quatre sous-marins côtiers de la classe
"Circé" commandés dans le cadre du programme 1923,
la "Doris" est construite aux Chantiers Schneider et Cie à
Bordeaux en Février 1924 et lancée en Novembre
1927. Équipée à Toulon, elle n'est pas
pleinement mise en service dans la marine française avant
Janvier 1930. La "Doris" est enregistrée comme rejoignant
la IIIe escadrille de sous-marins à Toulon en 1933 et
ensuite la Ve escadrille en 1935. Equipée de diesels
Schneider de conception et de fabrication allemandes, ils se sont
non seulement révélés peu fiables mais
entraînent un manque chronique de pièces de rechange
lorsque les relations entre les deux pays se sont
détériorées vers la fin de la
décennie. La classe entière est remise en
état à Toulon et à La Ciotat (Provence) en
1939, après quoi ils quittent Toulon pour Bizerte en
Février 1940 pour effectuer des tâches
d'entraînement dans le golfe de Tunis en tant que 13e
division de la Ve escadrille. Fin Mars, ils sont envoyés
à Brest où ils reçoivent l'ordre de livrer
la bataille aux Allemands en mer du Nord.
- Dans les premiers jours d'Avril 1940, les plans alliés
d'une intervention contre la Norvège pour interdire le
passage du minerai de fer suédois entre Narvik et
l'Allemagne amènent trois divisions de sous-marins
français au Nord des îles britanniques.
Placées sous le commandement opérationnel du
formidable Vice-Admiral (sous-marins) Sir Max Horton, elles sont
réparties entre les ports de Dundee et Harwich, en mer du
Nord. La 2e division, forte de quatre bateaux, est basée
à Dundee pour servir en mer de Norvège, tandis que
les huit bateaux des 13e et 16e divisions, dont la "Doris",
l'"Amazone" et le navire de dépôt de sous-marins
"Jules Verne", se rendent à Harwich pour des
opérations dans la baie d'Helgoland et dans le Sud de la
mer du Nord. En fait, l'attaque allemande sur le Danemark et la
Norvège le 09 Avril donne aux forces sous-marines
alliées une mission encore plus urgente que celle qui
avait été conçue à l'origine.
- Le 19 Avril, la "Doris" part pour sa première patrouille
de guerre au large d'Helgoland, mais les défauts de son
compresseur diesel bâbord la ramènent rapidement
à Harwich pour des réparations. Les installations
terrestres limitées dont disposent les Français
à Harwich, qui doivent s'en remettre en grande partie au
"Jules Verne" et aux pièces détachées
envoyées de Cherbourg, contribuent sans doute à ce
que ces réparations ne soient jamais entièrement
effectuées, mais les développements
stratégiques jouent également un rôle dans
cette affaire. La descente allemande sur la Hollande étant
jugée imminente, Horton ordonne le 06 Mai à toutes
les unités disponibles de prendre la mer et
l'après-midi suivant, la "Doris" quitte Harwich en
compagnie des HMS/m "Shark" et "Amazone" de la 16e division. Ils
reçoivent l'ordre de se joindre à dix autres
sous-marins - quatre français, quatre britanniques et deux
polonais - pour former une ligne de patrouille au large de la
côte néerlandaise où l'on sait que des
U-Boote opèrent. En fait, la zone de patrouille dont le
Doris est responsable coïncide avec celle à laquelle
l'U-9 (Oblt.z.S.
Wolfgang Lüth) est affecté après son
départ de Kiel le 05. Le fait que les Allemands aient
brisé plusieurs des codes opérationnels et
administratifs de la Royal Navy suggère que cette
disposition n'est peut-être pas une coïncidence. Quoi
qu'il en soit, peu avant minuit le 08, l'U-9 aperçoit la
"Doris" à l'Est et commence immédiatement à
manœuvrer pour attaquer. Bien que la date du naufrage soit
souvent donnée comme étant le 09 Mai
(d'après le journal de bord de Lüth), le
chronométrage de l'Amirauté britannique à
laquelle la "Doris" était rattaché
opérationnellement (22h15) et celui de la marine
française (23h15 ; Amazone 23h18) placent sa perte
fermement le 08.
- Le journal de bord mis à part, les dernières
minutes de la "Doris" sont perdues pour nous et il n'y a aucune
indication qu'il ait été alerté de la
présence de l'U-9. Même si elle l'avait
été, les chances auraient été contre
le Capitaine de corvette Jean Favreul dont les ordres
d'engagement du Vice-Admiral Horton l'obligeaient à ne pas
attaquer un navire avant qu'il ne soit identifié comme
appartenant à l'ennemi. Ces restrictions étaient
dues non seulement à la quantité de navires neutres
dans les environs, mais aussi aux deux sous-marins polonais
("Orzeł" et "Wilk") qui opéraient dans ces eaux aux
côtés des Alliés, ainsi qu'aux bateaux de la
Royal Netherlands Navy, encore neutre, basée à Den
Helder. Quoi qu'il en soit, la "Doris" a connu la fin
immédiate et terrible décrite dans le journal de
Lüth. Il était attendu à Harwich à
15h00 le 13 Mai et lorsque les messages lui demandant de
confirmer son heure d'arrivée sont restés sans
réponse, on a craint le pire. Le 09, un communiqué
allemand avait déjà annoncé le naufrage d'un
sous-marin allié en mer du Nord et le 15, Horton a
déclaré qu'il pensait que la "Doris" avait
probablement succombé à une torpille de sous-marin.
Cependant, comme il patrouillait dans une zone connue pour
être minée, sa perte à cause de cette forme
de guerre sous-marine a été officiellement
présumée jusqu'à ce que l'accès aux
archives allemandes après la guerre prouve le
contraire.
- Cependant, la "Doris" n'a pas fini de faire parler d'elle. En
Juin 2003, des pêcheurs ayant perdu leurs filets sur une
épave inconnue, deux plongeurs néerlandais se sont
rendus à une position marquée à 35 nautiques
au large de Den Helder. C'est là, par 26 mètres de
fond, qu'ils ont trouvé l'épave brisée de la
"Doris", identifiable par une inscription portant son nom sur un
morceau de métal trouvé près des restes du
massif. Cette identification a été confirmée
par le dragueur de mines français "Cassiopée" en
Novembre de la même année et un service
commémoratif a été organisé sur le
site le 16 Juillet 2004. L'analyse de l'épave a non
seulement confirmé l'impact sur l'arrière du
massif, mais a également révélé une
détonation secondaire des torpilles dans les deux tubes
centraux, ce que confirme la description du journal de bord de
Lüth. De plus, l'orientation du bateau - pointant vers le
Nord-Ouest - non seulement confirme les observations de
Lüth, mais suggère que la "Doris" retournait vers son
poste de patrouille après s'en être
éloigné de deux nautiques au Sud au moment de
l'attaque. Le canon de 75mm du bateau a été
récupéré et, à l'heure où nous
écrivons ces lignes (2011), il est en cours de
restauration à Brest pour être exposé dans un
musée qu'il est prévu de dédier au service
des sous-marins français.
- Il faut croire que l'équipage de la "Doris"
(quarante-deux Français ainsi qu'un officier de liaison de
la Royal Navy, Yeoman of Signals et Telegraphist) a péri
instantanément. Cependant, leur sort prend une tournure
macabre grâce à Pierre Menezo, un
électricien-machine de l'"Amazone". Dans un récit
d'après-guerre non daté et anonyme
déposé au Deutsches U-Boot Museum-Archiv à
Cuxhaven-Altenbruch, Menezo se souvient d'une rencontre
troublante avec un aumônier de la marine française
sur le "Jules Verne" peu avant le départ de la "Doris" et
de l'"Amazone" le 07 Mai, au cours de laquelle ce dernier a
parlé d'un fort pressentiment qu'aucun des deux ne
reviendrait des patrouilles à venir. L'aumônier a
demandé à Menezo d'informer ses compagnons de bord
et ceux de la "Doris" qu'il prierait pour le pardon de leurs
péchés et donnerait une dernière
bénédiction in articulo mortis ('à l'article
de la mort'). Cependant, lorsque les deux équipages se
sont réunis pour boire un verre avant la patrouille sur
l'"Amazone", Menezo a été tellement frappé
par l'humeur déprimée des hommes de la "Doris"
qu'il a jugé inapproprié de transmettre le message.
Aussi improbable que cela puisse paraître, il existe des
preuves anecdotiques qui suggèrent que leur
mélancolie était peut-être due au fait qu'ils
savaient que la "Doris" aurait des difficultés à
plonger en raison du problème de compresseur
évoqué plus haut, ce qui réduirait ses
chances de revenir saine et sauve. Quoi qu'il en soit,
l'"Amazone" a défié la prémonition de
l'aumônier, mais lorsqu'une colonne de feu a
été aperçue à l'horizon à
23h18 le 8 (heure enregistrée de l'"Amazone"), peu de ses
hommes d'équipage ont eu le moindre doute sur
l'identité de la victime. La "Doris" et ses hommes sont
commémorés sur une plaque érigée
à Bray-Dunes sur la côte de la Manche en
France.
Libre traduction par l'auteur du site des pages 23, 24 et 25 de
l'ouvrage "U-Boat Attack Logs" de Daniel Morgan & Bruce
Taylor chez Seaforth Publishing.
Sources : le Net