Capture de l'U-110



- Le Commandant de l'U-110, Fritz-Julius Lemp, est né à Tsingtao (nom donné à l'époque, aujourd'hui généralement Qingdao), sur les rives de la mer Jaune, dans le Nord de la Chine, un an avant la Première Guerre mondiale. À première vue, cette ville peut paraître éloignée des ports navals allemands, mais psychologiquement, elle est bien plus proche que certaines villes enclavées de Bavière, par exemple. Tsingtao est l'équivalent allemand de Hong Kong pour la Grande-Bretagne et a été « louée » vers la fin du XIXe siècle. En 1914, Tsingtao est un port maritime prospère et la base de l'escadre de croiseurs d'Extrême-Orient allemande, sous le commandement de l'amiral Maximilian Reichsgraf von Spee. Spee et la plupart de ses navires sont finalement traqués lors de la bataille des îles Malouines. Tsingtao est également le port d'où part l'Emden pour son incroyable raid contre les navires marchands alliés dans les océans Pacifique et Indien.
- Issu de ce milieu de romantisme oriental, Lemp grandit en Allemagne et rejoint la Reichsmarine, encore modeste, comme aspirant-officier à 18 ans, en 1931, deux ans avant qu'Hitler ne devienne chancelier. À peine a-t-il obtenu son brevet d'officier que l'occasion se présente d'abandonner une possible carrière sur de prestigieux navires de surface pour rejoindre les « Freikorps » du Commodore Karl Dönitz, surnom donné à la nouvelle flottille de U-Boote. Lemp sert d'abord comme officier de quart sur l'U-28 nouvellement mis en service (Kptlt Wilhelm Ambrosius), mais moins de deux ans plus tard, il reçoit le commandement de l'U-30.
- La Seconde Guerre mondiale n'a commencé que quelques heures lorsque l'U-30, guidé par l'agressivité naturelle de Lemp, se fait une place dans l'histoire en coulant le paquebot Athenia. Non seulement l'enthousiasme incontrôlé de Lemp le pousse à agir contre les ordres, mais il porte aussi un coup sévère à son propre pays en fournissant aux Britanniques le prétexte de s'engager dans une guerre navale sans entraves. Mais, à bien des égards, les systèmes de propagande allemands et britanniques sont plus à blâmer que Lemp lui-même. Il est responsable du naufrage d'un navire ayant coûté la vie à plus de cent personnes, mais c'est sur la scène politique que les deux camps exagèrent l'incident. Soit dit en passant, il est faux que Lemp ait coulé le premier navire de la guerre. Il est simplement le premier commandant de U-Boot à l'avoir fait. La Royal Navy lui a déjà volé la vedette en coulant le cargo allemand Olinda au large de l'Amérique du Sud. Il est tombé sur le croiseur Ajax (Capt Charles Woodhou), qui participe plus tard à la célèbre bataille du Río de la Plata contre le cuirassé de poche Admiral Graf Spee.
- Sur le chemin du retour de sa première croisière militaire, Lemp entreprend autre chose qui, sans le savoir à l'époque, va changer la façon dont les générations futures enregistreront l'histoire. Jetant un coup d'œil à une photo de son fox-terrier, Schnurzl, il lève les yeux et appelle Georg Högel, dans le local radio, pour lui demander s'il est possible de peindre le chien sur le massif. Högel accepte de chercher de la peinture, car lui aussi regrette le gentil petit chien qui les a souvent accompagnés en mer. La présence de l'animal ajoutait une atmosphère apaisante à l'aspect militaire du sous-marin. Högel trouve de la peinture ainsi qu'une bonne réserve de pinceaux et, lorsque l'U-30 est amarré à Wilhelmshaven, un dessin du chien est visible de chaque côté du massif. Dönitz apprécie cette idée, même s'il décrète que l'emblème doit être retiré avant la prochaine opération, afin d'empêcher l'opposition d'identifier le sous-marin en mer. Högel est la personne idéale pour réaliser ce tableau. Il a étudié l'art à Munich, mais, comme le Führer lui-même, il avait trouvé difficile de trouver un emploi d'artiste et a choisi de surmonter cette difficulté en s'engageant dans la marine. Il n'a jamais eu un grand penchant pour les radios, mais un test de sélection navale lui a suggéré que ce serait sa vocation.
- Cette première peinture professionnelle de Schnurzl lance un engouement qui va se généraliser tout au long de la guerre. Les instructions de Dönitz de retirer toute forme d'identification en mer sont ignorées, et les emblèmes sur les massifs aident de nombreux historiens en permettant d'identifier des coques grises, par ailleurs pratiquement sans relief, sur de vieilles photographies. À la fin de la guerre, des milliers d'emblèmes doivent avoir été peints sur les massifs, dont beaucoup sont répertoriés dans l'excellent ouvrage de Högel sur le sujet.
- Le naufrage de l'Athenia et le dessin sur le massif ne sont pas les seules « premières » auxquelles l'U-30 a participé. Plus tard, il devient également le premier U-Boot à entrer dans un port français de l'Atlantique pour se ravitailler en carburant. C'est ce qui se passe le 07 Juillet 1940 à Lorient. De là, l'U-30 fait route vers le sud pour couler un petit cargo de 726 tonnes, le S.S. Elleroy. Malgré ce succès, les jours opérationnels de l'U-30 sont comptés. Les machines ne peuvent plus faire face à la rigueur de la guerre et, comme les autres bateaux de Type VIIA, l'U-30 approche de la fin de sa vie opérationnelle. En conséquence, Lemp se ravitaille une fois de plus à Lorient, puis effectue un large balayage à travers les Western Approaches de la Grande-Bretagne, en passant par la Manche Nord, pour déposer son bateau à Wilhelmshaven. De là, l'U-30 navigue vers Kiel pour être utilisé à des fins d'entraînement dans la Baltique.
- Lemp réussit à prendre quelques jours de congé avant de se rendre à Deschimag AG Weser à Brême pour récupérer un bateau flambant neuf et beaucoup plus grand. Jusque-là, la guerre n'a que peu d'impact sur la ville. Les raids aériens ont déjà commencé à influencer la vie locale, mais en 1940, ils sont encore peu fréquents et suffisamment légers pour constituer des nuisances gênantes plutôt que des menaces mortelles. Loin de briser la population civile, les raids ont au contraire renforcé sa détermination, et Lempest conscient d'une résistance unifiée qui motive les ouvriers du chantier naval à mettre leurs bateaux à l'eau rapidement.
- Avec sa Croix de chevalier autour du cou, Lemp se distingue dans la foule et devient le centre de l'attention partout où il va. Cette distinction est encore rare à l'automne 1940 et quiconque la porte bénéficie d'un traitement VIP immédiat. Lemp est seulement le huitième commandant de U-Boot à recevoir la Croix de chevalier. Il l'obtient pour son travail acharné, atteignant la barre convoitée des 100 000 tonnes coulées, dix jours seulement après Otto Kretschmer, le commandant le plus titré de la guerre. La première Croix de chevalier a été décernée à Günther Prien dix mois plus tôt pour le naufrage du cuirassé Royal Oak à Scapa Flow. Cela indique que les distinctions ne sont pas distribuées comme des confettis, comme l'ont prétendu certains auteurs d'après-guerre, et recevoir une médaille aussi prestigieuse constituait en effet un grand accomplissement, faisant de Lemp un membre d'une élite très respectée et restreinte. Lemp est également l'un des rares commandants à avoir attaqué et endommagé un cuirassé ennemi, le H.M.S. Barham, bien que son blindage se soit avéré trop résistant pour ses torpilles à cette occasion. (Le Barham, cependant, est coulé par l'U-331 en Méditerranée en Novembre 1941).
- La décision majeure, après la mise en service de l'U-110 à Brême, est de l'emmener en Baltique pour des essais, mais l'U-110 n'y reste pas longtemps. C'est un froid glacial du 01 Février 1941 que le sous-marin est amarré à Kiel pour l'équipement final et quelques réparations mineures. La procédure se déroule comme une horloge, car la 5.U-Flottille de U-Boote est spécialement créée pour s'en occuper, en fournissant tout le nécessaire aux U-Boote. Finalement, le Dimanche 09 Mars 1941, par un froid encore inconfortable mais avec l'arrivée du printemps, l'U-110 largue les amarres pour son premier voyage de guerre. Le plan est de traverser les anciens terrains de chasse de Lemp, les Western Approaches, puis de rejoindre Lorient, en France, mais il semble initialement que ce projet peut être contrarié. Deux jours plus tôt, Lemp reçoit l'ordre de faire de la place à un passager, et de tels événements secrets sont souvent accompagnés d'odieux ordres d'entreprendre quelque chose d'inacceptable. Finalement, il s'avère que le secret n'est pas particulièrement grand. L'U-110 doit emmener en mer un ouvrier du bâtiment enthousiaste afin qu'il puisse se familiariser avec l'action.
- Ulrich Kruse, employé de la Commission d'essai-réception des U-Boote (UAK), avait déposé plusieurs demandes pour prendre la mer, mais en tant que travailleur important occupant un poste de haut rang, ses efforts avaient toujours été contrariés, ses supérieurs sachant qu'il serait difficile à remplacer. En conséquence, il a fallu beaucoup d'influence et de persuasion secrète avant qu'il obtienne l'autorisation d'accompagner l'U-110 lors de sa première croisière de guerre. Pourtant, bien qu'il ait réussi à monter à bord, Kruse reste à l'écart jusqu'à ce que la côte de Basse-Allemagne et les imposants clochers de Cuxhaven soient hors de vue. Il ne veut inciter personne à l'idée de le faire débarquer. Son empressement à tout apprendre sur les machines le gagne aux yeux de l'équipage, qui lui décerne rapidement le grade honorifique d'ingénieur principal. Sortir de l'estuaire de l'Elbe n'est pas chose aisée et Kruse n'apprécie guère l'anxiété des hommes jusqu'à ce que le bateau tangue latéralement dans le clair de lune argenté pour éviter la première mine. Il y en a bien d'autres à suivre.
- La journée se déroule sans incident jusqu'à ce que le silence soit ordonné et que l'U-110 plonge à 30 mètres de profondeur pour entendre ce qui se passe. Les conditions sont bonnes et les navires peuvent être entendus sur des distances bien plus longues que celles que les vigies peuvent voir du haut du massif. L'U-110 a de la chance. Des bruits d'hélice importants sont entendus avant la fin de la première heure. Sans hésiter, Lemp fait surface, fait tourner les moteurs à plein régime et, peu après, est récompensé par la vue d'un convoi. En regardant par-dessus la baignoire, Kruse compte cinq colonnes, chacune à environ un demi-kilomètre de l'autre. À sa grande surprise, ni Lemp ni les autres officiers ne se concentrent sur cette masse. Au lieu de cela, ils regardent dans l'obscurité. Ce n'est que lorsque quelqu'un lui prête une paire de jumelles qu'il peut voir qu'ils se concentrent sur des escortes minuscules et rapides - trois d'entre elles.
- Ayant évalué la situation, Lemp annonce à ses hommes qu'il va attaquer. La première torpille fut dirigée vers le navire de tête, un navire de 5 000 tonnes. Après ce tir, le premier officier de quart, chargé de larguer des torpilles lors des attaques de surface, reçut l'ordre de se concentrer sur un pétrolier de 10 000 tonnes. Lemp ne semblait rien faire. Debout, dans un silence sinistre, il se contentait d'observer ce qui se passait. En fait, il n'avait pas besoin de donner d'ordres ; chacun savait quoi faire. Cependant, les choses ne se passèrent pas comme prévu. Quelqu'un à bord du pétrolier avait dû repérer le sous-marin. Soudain, celui-ci s'engagea sur une trajectoire d'éperonnage, évitant la torpille et manquant l'U-110 d'une centaine de mètres seulement. Kruse, qui sentit le roulis du sous-marin s'intensifier considérablement alors qu'il roulait sur le sillage du pétrolier, comprit alors pourquoi Lemp portait la Croix de chevalier. Avec un sang-froid d'acier, il ordonna simplement au premier officier de tirer une torpille depuis l'un des tubes arrière. Le résultat fut dévastateur. Le pétrolier, chargé d'essence hautement volatile, sembla se vaporiser en s'élevant dans les airs dans une boule de feu d'une brillance impressionnante.
- Les obus éclairants, pour éclairer la nuit noire ne sont pas nécessaires, et les escorteurs ne dorment pas non plus. L'U-110 effectue une plongée d'urgence, espérant atteindre une profondeur sûre avant l'explosion des premières charges de profondeur. Rien n'est plus terrifiant que d'être la cible d'une attaque de charges de profondeur, mais Kruse réussit son baptême du feu sans blessure, et le sous-marin ne subit aucun dommage. Heureusement, l'expérience est brève et, une demi-heure plus tard, Lemp démontre comment il est devenu l'un des meilleurs commandants de U-Boote. En remontant à la surface, le silence au-dessus de l'U-110 reprend son cours. Le bruit des hélices devient audible dans le bateau sans l'aide du système de détection sonore. . Lemp ne se laisse pas décourager. Les moteurs tournant silencieusement, il s'éloigne encore une demi-heure, puis l'humidité froide de l'Atlantique se répand à nouveau à l'intérieur. Lemp est prêt pour sa deuxième attaque.
- Il aligne une nouvelle cible et deux torpilles disparaissent dans la nuit, mais le pétrolier poursuit sa route sans être dérangé. Les deux suivantes l'immobilisent, mais sans la boule de feu brillante aperçue plus tôt. Au lieu de cela, le pétrolier s'enfonce dans l'eau, semblant disparaître derrière l'horizon. Ce n'est qu'une fois qu'il a coulé et que la lumière du jour a mis fin aux attaques de surface que Lemp apprend que le mécanisme de contrôle de la profondeur des torpilles a été rempli avec le mauvais type d'huile, ce qui les rend lentes et irrégulières. À part les jurons, il n'y a pas grand-chose à faire, mais les hommes sont suffisamment satisfaits de leur attaque pour une nuit.
- Kruse et le reste de l'équipage de Lemp ont la chance de survivre. L'U-99 (Kptl Otto Kretschmer) et l'U-100 (Kptlt Joachim Schepke) ont été coulés, tandis que l'U-110, au ras de l'eau, examine les débris flottant sur l'Atlantique agité. Lemp sait que l'U-99 a été coulé grâce à l'appel de détresse de Kretschmer, mais il ne peut rien faire. Les vigies à bord de l'U-110 ont probablement même assisté à la tentative de sauvetage, mais le mieux que Lemp peut faire est de se retirer dans l'obscurité du vaste Atlantique, espérant ne pas devenir la troisième victime de l'escorte.
- Plus tard, Lemp s'intéresse à un navire de 5 000 tonnes se dirigeant vers l'Ouest, mais malgré toute son expérience et la vérification des torpilles, celles-ci ne parviennent toujours pas à remplir leur mission. Après une longue journée de chasse, cet échec est particulièrement exaspérant. Lemp a le vocabulaire nécessaire pour exprimer ses sentiments et, en même temps qu'il jure, il ordonne aux équipes de canons de monter sur le pont. Le canon de 37mm à tir rapide situé à l'arrière du massif et le canon de 105mm, beaucoup plus gros, situé à l'avant, vont tous deux mettre un terme à l'affaire. Le plus petit canon est le premier à marquer quelques coups, mais ceux-ci sont si insignifiants qu'il n'y a aucune réaction observable. Puis, lorsque la plus grosse munition est mise en place, tout le monde est surpris par une détonation plus forte que d'habitude. En regardant par-dessus la paroi de la baignoire, une fois les oreilles dégagées, il devient évident que le 105mm a été tiré sans que le tampon étanche situé à l'extrémité n'a été retiré au préalable. Même les hommes à l'intérieur du bateau savent que quelque chose de fâcheux s'est produit. Plusieurs fusibles situés au plafond de la salle radio, juste en dessous du canon, tombent de leur support et des ampoules sont brisées. L'opérateur radio Georg Högel n'est pas un homme heureux, car la réverbération résonne dans ses oreilles pendant un certain temps, ce qui l'empêche d'entendre ce qui se passe sur les ondes.
- Malgré tout ce chaos environnant, Lemp aboie dans les porte-voix pour réclamer plus de vitesse. Il reste des torpilles dans les tubes et il va tenter une nouvelle fois sa cible. À l'intérieur du bateau, les hommes sentent les vibrations accrues des moteurs diesel s'amplifier. Soudain, et de façon inattendue, le moteur s'arrête net. Tout redevient silencieux tandis que le bateau s'installe dans un roulis plus doux sur la vague agitée. Personne à l'intérieur ne sait que les hommes dans la baignoire sont horrifiés, fixant le pont avant. Au lieu de s'élever au-dessus des vagues, un côté s'est affaissé à un angle si précaire qu'il menace d'emporter les vigies. Pensant que quelqu'un a ouvert accidentellement les purges des ballasts avant, Lemp ordonne de chasser aux ballasts. Une masse d'écume bouillonnante émergeant de sous le pont indique clairement qu'un événement indésirable s'est produit. Kruse peut enfin remercier les hommes de l'U-110 pour leur chaleureuse hospitalité. Ayant travaillé pendant trois ans au sein de la Commission d'essai-réception des U-Boote, il connait parfaitement les subtilités des tuyauteries traversant les ballasts et peut contribuer à la réparation des dégâts. Cela ne semble pas suffisant pour une nouvelle chasse ni pour la plongée, mais cela maintient le bateau à flot et évite aux hommes une plongée forcée prématurée. Rampant à une vitesse péniblement lente, l'U-110 atteint finalement Lorient où se trouvent d'excellentes installations de réparation.
- Kruse doit rentrer en Allemagne par ses propres moyens, mais l'expérience en vaut largement la peine. Il rapporte de nombreuses petites idées pour améliorer l'efficacité des sous-marins. Il a fait la guerre, survécu à une attaque à la charge de profondeur, n'a pas été blessé lors de l'explosion du canon et, ironiquement, à quelques kilomètres de sa destination, Kiel, il a failli perdre la vie lors d'une attaque aérienne contre son train. Le voyage à bord de l'U-110 a été une expérience inoubliable. Pourtant, malgré les difficultés, Kruse aurait aimé participer à un autre voyage pour obtenir le prestigieux insigne de sous-marin. Je lui suis reconnaissant d'avoir laissé un compte-rendu de ses expériences dans les archives des sous-marins (U-boat Archive).

Suite de l'histoire.

Glossaire
Source : ENIGMA U-BOATS Breaking the Code (avec mes propres corrections).

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